Au Brésil, Bolsonaro continue d'alimenter la guerre anti-drogues

Jair Bolsonaro visite le bataillon des forces spéciales de police, Rio de Janeiro, Août 2020. Source: Wikimedia Commons

Quelques jours après la requalification du cannabis par la Commission des Nations Unies sur les narcotiques en Décembre 2020, le gouvernement brésilien a publié une note revenant sur les dangers supposés liés à la consommation de la plante. Basé sur des sources partisanes et vérolé par les approximations, les stéréotypes et les contre-verités, le document réfute l'existence du cannabis à usage thérapeutique, et insiste sur les liens supposés entre usage et trafic du cannabis, violence et criminalité – sans une seule mention de la violence étatique exercée dans le cadre des réponses politiques aux drogues, lesquelles légitiment les opérations de police dans les favelas et dans les communautés les plus pauvres. Ces opérations étant devenues de véritables croisades contre les personnes de couleur, coûtant la vie à des enfants et maintenant leurs familles derrière les barreaux.

Contrairement à certains de ses voisins, le gouvernement brésilien a continué de s'opposer aux initiatives visant à dépénaliser le cannabis. En 2017, alors que l'Argentine légalisait le cannabis à usage médical, le président du Brésil Michel Temer, marqué à droite, censurait la publication d'une étude menée par la Fondation Oswaldo Cruz (FIOCRUZ), laquelle posait la question de l'existence d'une épidémie de toxicomanie ; le gouvernement était suspecté de faire disparaître les données susceptibles de remettre en cause sa guerre contre les produits stupéfiants.

L'actuel président du Brésil, Jair Bolsonaro, a promis d'investir dans la guerre anti-drogues depuis le début de sa campagne pour l'élection présidentielle de 2018, promesse qu'il a rappelée une fois élu. En 2019, sa première année à la tête de l'état, il signe un décret mettant en place son propre style de politique des drogues. Ce nouvel outil législatif exclut les approches de réduction des risques adoptées par le passé, et s'appuie sur l'abstinence forcée imposée aux usagers. Dans les faits, cette approche consiste à attribuer l'argent du contribuable aux seules institutions pratiquant l'abstinence absolue, aux détriments de l'aide effective aux usagers des drogues.

Le gouvernement brésilien a également modifié la composition du Conseil national sur la politique des drogues, en excluant les représentants de la société civile ; 13 sièges ont ainsi été supprimés, dont ceux de l'Ordre des avocats du Brésil, du Conseil fédéral de l'action sociale, du Conseil fédéral de la médecine, du Conseil fédéral des soins infirmiers, du Conseil fédéral du suivi psychologique, de la Société brésilienne pour le progrès de la science, et de l'Union nationale des étudiants. Les sièges occupés jusqu'alors par un anthropologue, un journaliste et un artiste ont également été supprimés.

Suite au décret, Bolsonaro a mis en place une nouvelle loi visant à rendre les peines plus sévères pour les fournisseurs, et à permettre de placer contre leur gré les usagers des drogues dans des services de réhabilitation et de traitement. La mesure a été soutenue et applaudie par les députés et sénateurs ayant des liens avec l'industrie de la « désintoxication », laquelle est, au Brésil, très liée à des organisations chrétiennes. En 2019, le Ministère de la citoyenneté a ainsi attribué 70% de ses fonds aux programmes de réhabilitation conduits par des institutions protestantes ou catholiques, certaines d'entre elles détenues par des membres conservateurs du congrès.

 

La guerre anti-drogues à droite, à gauche, et au centre

 

L'extrême-droite est loin d'être la seule responsable de cette politique mortifère en matière de stupéfiants. Les gouvernements précédents ont ouvert la voie à l'intensification des contrôles de police, à la militarisation et à l'usage de la violence dans l'application des politiques liées aux drogues. D'après Human Rights Watch, la loi sur les produits stupéfiants promulguée en 2006 par le président Luiz Inácio Lula da Silva, membre fondateur du Parti Travailliste, a eu une influence importante sur l'augmentation drastique de la population carcérale qui a suivie. La loi de 2006 remplaçait celle promulguée en 1976, en pleine dictature militaire, et qui mettait en place des peines de prison et des amendes pour la possession de produits illicites.

La loi de 2006 marque la distinction entre les consommateurs et les fournisseurs, en se basant sur la possession d'une quantité plus ou moins importante, sans définir de seuil minimum ou de plafond, laissant de fait le champ libre à l’interprétation des forces de l'ordre. Lorsque des changements en faveur de l'appréciation des agents de police sont faits dans les lois concernant les drogues, il faut s'attendre à ce qu'une vision biaisée de la chose prédomine. Les abus de pouvoir ne sont ainsi une surprise pour personne.

« Cette loi est un passe-droit pour les policiers, pour arrêter des personnes vulnérables et stigmatiser les pauvres, les habitants des bidonvilles et les personnes noires en tant que trafiquants de drogues et pas en tant que consommateurs » détaille l'avocat pénaliste Joel Luiz Costa, né et élevé dans la  Favela do Jacarezinho, à Rio de Janeiro. « Dans un pays raciste et divisé comme le notre, où les gens sont jugés à leur code postal, ce type de fonctionnement est incompatible avec l'application de la justice. Un jeune noir, sans emploi concret, dans un quartier mal famé la nuit et contrôlé par un clan, sera systématiquement considéré comme un trafiquant, peu importe le volume de drogue qu'il transporte sur lui. »

En 2005, 9% de la population carcérale du Brésil purgeait une peine liée à la possession de produits stupéfiants. En 2014, cette proportion atteint 28%. Conformément aux informations rendues disponibles par la dernière Enquête nationale sur les pénitenciers, publiée en juin 2020, 32% des personnes incarcérées dans le pays – soit 232 000 personnes – l'étaient pour des faits liés aux drogues, soit une augmentation de 23% depuis l'entrée en vigueur de la loi en 2006. Parmi les femmes incarcérées, plus de 18 000 soit 57% le sont pour des motifs de ce type. Pour les détenus hommes, cela représente 214 000 personnes, soit 31%. Il n'existe pas de données précises quand au nombre de personnes noires incarcérées pour des faits liés aux drogues, mais on sait toutefois que  66% de la population carcérale au Brésil est constituée de personnes de couleur.

Bolsonaro et son cabinet sont ouvertement déterminés à aller plus loin dans la guerre anti-drogues, en militarisant toujours plus la police et en prônant l'abstinence au détriment de la réduction des risques. Cette idéologie, couplée à des politiques des drogues toujours plus répressives, risque fort de conduire à une augmentation des peines extrajudiciaires et des incarcérations, déjà de véritables fléaux au Brésil.

 

*Felipe Neis Araujo est un anthropologue brésilien, impliqué dans les questions relatives aux politiques des drogues, à la violence d’État, au racisme structurel et aux réparations quant aux inégalités historiques. Il écrit chaque mois pour TalkingDrugs. Pour le contacter :  neis.araujo@gmail.com.