Aux États-Unis, le choix historique des électeurs de l'Oregon: la dépénalisation de toutes les drogues

Conformément aux lois désormais en vigueur dans l'Oregon, la possession d'une petite quantité de drogue dédiée à la consommation personnelle n'est plus une infraction criminelle mais un délit civil.  Image via Wikimedia Commons/Domaine public

Le 3 novembre 2020, l'Oregon est devenu le premier état des États-Unis a dépénaliser la possession de toutes les drogues.

La Mesure 110, une initiative populaire financée par la Drug Policy Alliance, une organisation à but non-lucratif soutenue notamment par le cofondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, a été approuvée par plus de 58% des votants. Ainsi, en Oregon, être en possession d'héroïne, de cocaïne, de méthamphétamines ou d'autres produits stupéfiants ne représente plus une infraction criminelle.

Ces drogues, et le commerce associé, demeurent illicites. Mais la possession est désormais un délit civil, sanctionné par une amende ou une obligation de soins plutôt que par de la prison. Le cannabis, légalisé en 2014 en Oregon, reste intégralement légal au sein de l'état.

Ce tournant pris par l'Oregon est radical à l'échelle américaine, mais en Europe, plusieurs pays ont dépénalisé les drogues à différents degrés. Trois arguments principaux structurent cette réforme radicale vis-à-vis de ces substances. 

 

#1. Interdire les drogues ne fonctionne pas

 

En 1971, le président américain Richard Nixon pointe du doigt les drogues comme « ennemis public numéro un », et met en place une « guerre anti-drogues », toujours en cours de nos jours.

L'idée derrière la sévérité des châtiments infligés aux usagers des drogues est d'en dissuader l'usage. Des décennies de recherches sur la question – y compris les notres, sur le cannabis et les drogues en général – ont montré que les effets des mesures strictes sur la consommation globale étaient faibles, voir inexistants. C'est notamment le cas auprès des tranches les plus jeunes de la population,  principaux usagers des drogues.

Cet état de fait s'explique en partie par la nature même du phénomène d'addiction, mais également par les limites concrètes de la répression comme frein effectif à la criminalité. Ainsi les États-Unis détiennent à la fois le plus haut taux d'incarcération au monde et  l'un des plus haut taux d'usage illicite des drogues. Environ une personne sur cinq incarcérée au Etats-Unis l'est pour une infraction liée aux produits stupéfiants

Des criminologues ont ainsi révélé que les conséquences directes de l'usage problématique des drogues – telles que les effets délétères sur la santé, la qualité de vie et les relations sociales – sont plus dissuasifs pour l'usager que d'éventuelles sanctions pénales.

Ainsi, si la criminalisation n'enraye pas vraiment la consommation, la dépénalisation ne la fait pas vraiment augmenter non plus. Au Portugal, pays ayant dépénalisé la possession individuelle de toutes les drogues dès 2001(en réponse à des taux de consommation importants), présente aujourd'hui des taux de consommation sensiblement inférieurs aux moyennes européennes. L'usage de la cocaïne parmi les personnes âgées de 15 à 34 ans y est situé à 0,3%, pour 2,1% au sein de l'Union Européenne. De même, la consommatio d'amphétamines et de MDMA y apparait sensiblement plus faible.

 

2. La dépénalisation permet une répartition plus efficace des ressources

 

Les arrestations, les poursuites et les incarcérations pour des infractions liées aux drogues ont un coût important. Jeffrey Miron, économiste de Harvard, estime que l'ensemble des dépenses du gouvernement liées à la prohibition des drogues a représenté 47,8 milliards de dollars en 2016. Dans le même temps, l'Oregon a dépensé environ 375 millions de dollars à cet effet. 

L'Oregon va désormais réorienter une partie de l'argent alloué jusque là à la répression à la  création de centres dédiés à la prévention et aux traitements, cette stratégie ayant prouvé son efficacité en termes de bénéfice-coût. Une partie des revenus liés aux taxes sur le cannabis récréatif (dépassant les 100 millions de dollars en 2019) va également servir au financement de services dédiés à la prise en charge des addictions. 

Entre 2017 et 2018, l'Oregon a dépensé environ 470 millions de dollars dans les traitements liés à la consommation de produits stupéfiants.

Not everyone who uses drugs needs treatment. Decriminalization makes help accessible to those who do need it – and keeps both those users and recreational users out of jail.

Tous les usagers des drogues ne nécessitent pas forcément de traitement. La dépénalisation permet de renforcer leur accés à ceux qui en ont besoin – les éloignant de la prison, tout comme les personnes familières d'un usage récréatif.

 

3. La guerre anti-drogues cible les personnes racisées

 

Un autre objectif de la dépénalisation est d'atténuer les criantes disparités ethniques et raciales liées au contrôle des produits stupéfiants

Aux États-Unis, l'usage illicite des drogues est plus ou moins équivalent selon l'appartenance ethnique. Il apparaît pourtant que les personnes racisées sont beaucoup plus susceptibles de se voir fouillés, arrétés et emprisonnés pour un délit lié aux drogues. Les crimes de ce type peuvent en effet se voir sanctionnés par de longues peines de prison. 

Le pouvoir discrétionnaire en matière de drogues et de condamnation fait de la prohibition l'une des causes majeurs de l'incarcération des personnes de couleur aux Etats-Unis, une injustice reconnue de plus en plus, par des personnes placées de chaque côté du spectre politique américain

Libéré de la contrainte induite par le contrôle de la consommation, les départements pourraient réorienter leurs ressources vers la prévention des crimes, et à la résolution des crimes violents (tels que les homocides ou les vols), lesquels nécessitent d'importantes investigations. Ces mesures pourraient rétablir de la confiance entre les forces de l'ordre et les communautés de personnes de couleur en Oregon.  

 

Les risques de la dépénalisation

 

L'une des craintes communes aux citoyens de l'Oregon ayant voté contre la dépénalisation était qu'une réduction des sanctions puisse potentiellement mettre en danger les enfants.

« Je pense que c'est leur envoyer un très mauvais signal, qui va influencer leur perception des risques encourus », a déclaré James O'Rourke en octobre dernier à la radio publique locale, l'avocat ayant participé à organiser l'opposition à la mesure 110. 

Pourtant, les états américains ayant légalisé le cannabis n'ont pas observé une recrudescence notable de l'usage de la substance auprès des adolescents. Pour ainsi dire, il apparaît même que la consommation chez les jeunes – à l'exception des étudiants à l'université – a baissé dans certains états ayant légalisé la substance. Cela pourrait s'expliquer par la difficulté qu'auraient les mineurs à accéder au marché légal, par opposition au trafic.

Des recherches ont également montré que pour certaines personnes, et notamment les jeunes, interdire un type de comportement le rendrait plus attractif. Ainsi, présenter les drogues davantage comme un problème de santé public que comme une problématique d'ordre criminelle pourrait amoindrir leur attrait auprès des jeunes habitants de l'Oregon. 

Une autre inquiétude concerne les personnes possiblement attirées par les possibilités offertes par la dépénalisation pour les consommateurs de produits stupéfiants.

Le « tourisme des drogues » n'a jamais constitué un réel problème au Portugal, même si en Suisse, la décision « d'ignorer » la consommation d'héroïne dans le Platzspitz Park de Zürich dans les années 80 et 90 a provoqué l'arrivée de consommateurs de tout le pays, s'injectant de l'héroïne en public et abandonnant les seringues usagées

L'administration locale s'est vu contrainte de fermer le parc. Mais plutôt que de prendre en chasse ou d'arrêter les personnes le fréquentant, l'accent fut mis sur la distribution de méthadone et d'héroïne médicalement contrôlée, dans le but d'aider les personnes sujettes à l'addiction. Les injections en public, le taux de transmission du VIH et les overdoses, problèmes sociaux préoccupants à Zurich, ont tous connu des améliorations.

Certaines régions de l'Oregon ont déjà des taux élevés de consommation de drogue en public, notamment Portland et Eugene. La consommation en public demeurant interdite, un modèle à la Platzspitz Park reste inenvisageable à ce jour, bien que ces villes devraient pouvoir bénéficier d'une expansion des programmes de distribution de méthadone et des autres programmes de traitement dédiés, définis par la American Medical Association.

La perspective d'une dépénalisation des drogues par l'état voisin Washington, en discussion actuellement, rend encore plus invraisemblable l'essor d'un « tourisme des drogues » dans l'Oregon.

 

Amélioration – détérioration

 

Toute grande réforme comporte des risques. La question est de savoir si ces nouvelles mesures vont dans le sens d'un bénéfice net pour la communauté. 

Au Portugal, la dépénalisation totale a montré l'efficacité d'une approche plus humaine et concrète. Les usagers n'ayant plus à craindre les poursuites, ceux parmi eux cherchant de l'aide ont plus de chance de la trouver.

Au Portugal,  le taux de mort par overdose est cinq fois inférieur à la moyenne européenne – lequel est dé le taux de mort par overdose est cinq fois inférieur à la moyenne européenne. La transmission du VIH parmi les usagers est également en chute libre depuis 2001. 

Ces mesures nous montrent que les produits stupéfiants sont à prendre comme un défi de santé publique, et non comme une guerre à gagner.

 

La version originale de cette article a été publiée par The Conversation, sous licence Creative Commons. 

Scott Akins, Professeur, Département de sociologie, Oregon State University et Clayton Mosher, Professeur, Département de sociologie, Washington State University