Ce qu’il faut retenir de l’histoire sud-africaine dans la mise en place de nouvelles lois sur le cannabis

Cannabis (chanvre) en pleine croissance, Le Cap, Afrique du Sud. Source: Shutterstock.
En Afrique du Sud, les politiques régulant le cannabis sont aujourd'hui à la croisée des chemins. En 2018, la Cour constitutionnelle a dépénalisé l'usage privé de la substance. Depuis lors, le gouvernement hésite encore quand à la façon de réguler la plante et ses dérivés, appelés dagga par les sud-africains.
Un projet de loi destiné à préciser les réformes entourant le statut légal du cannabis a récemment été présenté au Parlement. Les groupes et organisations en faveur d'une approche à la fois thérapeutique et basée sur les droits humains demeurent cependant sur leurs gardes vis à vis du potentiel discriminant d'une telle loi. Est avancé notamment l'idée que celle-ci serait avant-tout à l'avantage des classes aisées, au détriment des communautés les plus vulnérables, lesquelles ne disposent pas de l'espace nécessaire pour cultiver la plante, et se verraient pénalisées pour sa consommation à l'extérieur du foyer.
L'industrie mondiale du cannabis ayant une valeur estimée à plus de 300 milliards de dollars, l'enjeu n'est pas sans conséquences. Les producteurs et les boutiques du pays exploitent le vide juridique en la matière pour fournir la jeunesse de la classe moyenne des centres urbains. Certains membres du gouvernement voient dans la dagga une opportunité de croissance économique, Celle-ci passerait par l’agriculture et la médecine, la plante pouvant être vendue pour ses propriétés analgésiques, ou ses effets sur le sommeil et la peau.
Une libéralisation accrue ne serait-elle pas cependant la porte ouverte à une "réquisition par les entreprises”, comme redoutent certains spécialistes ? Et si oui, qu’adviendra-t-il des personnes ayant cultivé illégalement la dagga pendant des décennies dans les communautés rurales, encourant de nombreux risques pour assurer leur subsistance ? L’histoire apporte des perspectives cruciales quand aux questions relatives à la justice sociale aujourd’hui au centre du débat public.
Notre étude récente basée sur les statistiques de la police de la moitié des années 1900 met en lumière les chiffres liés aux arrestations et saisies de cannabis, répartis par zones géographiques. L’état d’apartheid sud-africain y apparaît comme pionnier des stratégies de contrôle de l’offre, ciblant en priorité les fermiers des zones rurales les plus pauvres du pays.
Tirer les bonnes leçons de l’histoire revient à oeuvrer à la protection et à la valorisation des intérêts de ces personnes, lesquelles ont en dépit de l’adversité réussi à développer une économie fleurissante autour du cannabis, notamment grâce à la somme de connaissances collectée, leur capacité à entreprendre et l’opinatreté de leur travail.
Ce qui ressort des rapports de police
Dès le début du XXe siècle, l’approche choisie par l’état pour contrôler la dagga s’ancre profondément dans les mesures racistes et coloniales de l’apartheid. Celles-ci garantissaient les divisions spatiales sur la base de classifications raciales et ethniques. Pourtant, la ségrégation a engendré les conditions nécessaires au développement puis à l’essor de la culture et du commerce illicites du cannabis.
Les zones «tribales » ont longtemps été les espaces protégés, ou invisibles, de la production de dagga. Ces « domaines » étaient composés essentiellement de territoires ruraux mis de côté pour les sud-africains noirs, soumis à divers chefferies.
Les responsables de ces zones « tribales » toléraient de façon informelle la dagga, et ce même après son interdiction en 1922. Pendant plus de vingt ans, le maintien de l’ordre en la matière se concentrait essentiellement sur la protection des villes et territoires blancs, lesquels devaient être préservés du cannabis.
Le changement de régime politique entraine une nouvelle configuration. En 1948, le Parti National est désigné par les électeurs blancs. Avant même de promulguer sa première loi d’apartheid, le nouveau cabinet met en place une commission nationale officielle, relative aux « excès liés à la dagga ».
Cette décision répondait à de nombreux appels émis dès les années 1930, période correspondant à un afflux de personnes de couleur au sein des villes. Certains activistes et travailleurs sociaux considéraient la consommation de dagga comme un obstacle à des réformes progressistes, compromettante pour la sécurité urbaine et la respectabilité de classe. A la fin des années 1940, avant même la victoire du Parti National, le gouvernement renforçait l’effectif de la police.
Sous le nationalisme Afrikaner, l’inclinaison à l’ordre, à la fois moral et politique, était particulièrement virulente. Les stratégies autoritaires venaient soutenir un agenda basé sur les principes calvinistes, les ambitions modernistes et une vision globale suprématiste blanche. La volonté politique et les moyens d’éradiquer la dagga augmentèrent.
En 1952, le Comité interdépartemental sur les excès liés à la dagga publie son rapport, Il recommande de restreindre le commerce et la consommation de cannabis. Il se déclare spécifiquement en faveur d’une attention particulière portée aux sources alimentant les marchés urbains.
Des escouades de policie étaient désormais déployées pour détruire les plants de cannabis. Lesquels poussaient essentiellement à l’intérieur ou à proximité des territoires « tribaux », et étaient cultivés par des familles pauvres, notamment des femmes.
Deux décennies avant que le président américain Richard Nixon ne popularise l’expression “war on drugs” (guerre antidrogues), l’Afrique du Sud avait mis en place une approche répressive systématique concentrée sur l’offre, ciblant les cultivateurs.
Une guerre à la drogue
A partir de la moitié du siècle, le nombre d’arrestations et les kilos de cannabis saisis par la police grimpent en flèche. La grande majorité des arrestations se base sur des motifs liés à la possession. Les raids policiers au sein des communautés rurales représentaient des quantités astronomiques de dagga, confisquées sans relâche durant les décennies suivantes.
Aux preuves apportées par les chiffres, d’autres documents historiques de première main mettent en lumière les conséquences terribles de cet acharnement sur la production de cannabis. En 1956, un raid policier à proximité de Bergville, à l’est du pays, a révélé la violence rampante propre à ces affrontements entre la police et les communautés protégeant leur fragile moyen de subsistance. Cinq policiers furent brutalement assassinés par des membres de la communauté. En représaille, 22 personnes furent comdanées puis pendues par l’état.
The relative scale of the cannabis economy in South Africa is a notable element in this story. In 1953, registres des Nations Unies comparing six years of cannabis seizures for 46 countries showed South Africa accounted for a mind-blowing 50% to 76% of the world’s reported total.
L’ampleur toute relative de l’économie liée au cannabis en Afrique du Sud est un autre élement important. En 1953, des registres des Nations Unies comparant six années de saisies de cannabis dans 46 pays différents, présentèrent l’Afrique du Sud comme comptant pour 50 jusqu’à 76 % du total mondial répertorié.
Ce que l’histoire nous apprend
Deux enseignements émergent de tout ceci. Il ne s’agit pas seulement de persécution, mais de résilience. D’un côté, la nature coloniale du régime et l’apartheid préposent aux mesures en place comme démonstrations visibles du pouvoir d’état exercé par la minorité blanche. De l’autre, les statistiques témoignent à la fois de la perennité des pratiques locales liées au dagga, et de la croissance continue d’une agro-industrie nationale autour du cannabis. Celle-ci fut le fruit du labeur et de la capacité à entreprendre de personnes marginalisées, réprimées socialement et criminalisées pénalement.
Les décideurs doivent écouter en particuliers les récits des personnes les plus affectées par le contrôle de l’état. Cela implique de se mettre à l’écoute des voix tenues au silence par l’histoire.
Dans l’histoire sud-africaine du cannabis, le tournant de la moitié du XXe siècle constitue ainsi un épisode déterminant,
De plus, il met en avant l’Afrique du Sud comme pays précurseur dans la chronologie globale de la « guerre antidrogues ». Couplée à d’autres recherches en la matière, une représentation historique s’ajoute à un ensemble international de preuves mettant en avant la nature inefficace et socialement dévastatrice des guerres menées par les états contre les drogues, en inadéquation avec la réalité de l’usage des substances.
La version originale de cet article a été publiée par The Conversation, et republiée sous licence Creative Commons.
* Thembisa Waetjen est Professeur agrégé d’Histoire à l’Université de Johannesburg