Contre le COVID-19, désengorger les prisons du monde : une occasion manquée

Photo: ErikaWittlieb via Pixabay
Les conséquences du COVID-19 ont un impact sur nous tous, mais les personnes incarcérées comptent sans aucun doute parmi les plus durement frappées. Cette année, des appels aux libérations massives ont trouvé de l'écho à travers le monde, du fait du risque accru de contracter le COVID-19 au sein du contexte carcéral – soulignant une fois de plus l'incompatibilité de ces infrastructures avec une approche de santé publique efficace.
Les mesures de décongestion d'urgence prises par de nombreux gouvernements en réaction à la diffusion du COVID-19 ont fait naître l'espoir d'un changement durable.
Cependant, le suivi mis en place par Harm Reduction International a révélé que ces mesures étaient profondément lacunaires dans leur conception et leur application – témoignant de la volonté maintenue des gouvernements de mettre l'accent sur les sanctions plutôt que sur la santé et les droits humains, et ce même dans un contexte de pandémie mondiale.
Dans certains pays, les libérations étaient temporaires. Notamment en Iran, où une part importante des 85 000 personnes libérées est retournée en prison à la fin du printemps, de nombreux établissement pénitenciers ne parvenant pas à gérer convenablement les procédures de quarantaine. Au delà de la précipitation manifeste ayant subordonnée de telles décisions, celles-ci témoignent d'une opportunité manquée de concrètement mettre en cause la surpopulation carcérale dans le pays. Ailleurs, les mesures de décongestion ont été très mal implémentées. Ainsi au Royaume-Uni, où le gouvernement promettait de libérer 4000 détenus en avril, seuls 316 avaient été libérés en Août, mois marquant la fin de ces mesures d'exception.
En dépit de quelques exemples isolés de volonté de réduire les arrestations et les détentions, la plupart des pays ont continué d'arrêter des gens au cœur de la crise, y compris pour des crimes non-violents ne constituant pas de dangers pour autrui, comme ceux impliquant des drogues. Beaucoup ont également utilisé la pandémie pour détricoter la démocratie, et criminaliser davantage des groupes sociaux déjà marginalisés.
La guerre mondiale anti-drogues alimente la crise
Les lois répressives et discriminantes actuellement en vigueur en matière de drogues contribuent à l'incarcération de masse et accentuent les inégalités, les problèmes de santé publique, la pauvreté et l'exclusion des individus. Les personnes usagères ou revendeuses de produits stupéfiants sont sur-représentées au sein des prison, du fait de la guerre anti-drogues globale et ses mécanismes répressifs. Sur les 11 millions de personnes actuellement incarcérées à travers le monde, 21% (soit une sur cinq) le sont pour des infractions liées aux stupéfiants.
Le poids du maintien de l'ordre pèse particulièrement lourd sur les communautés noires, latinos et autochtones, beaucoup plus sujettes aux interpellations, aux arrestations, aux fouilles, et aux condamnations sévères que leurs homologues blanches, et ce partout dans le monde. Les mesures répressives affectent également les femmes de façon disproportionnée. A l'échelle mondiale, un pourcentage plus important de femmes est incarcéré pour des infractions liés aux drogues.
Des populations vulnérables laissées pour compte
Harm Reduction International a dénombré au moins 28 pays – soit 25% de ceux ayant amorcé des mesures de décongestion des prisons – ayant explicitement exclus de la libération les personnes incarcérées pour des motifs spécifiques liés aux drogues.
Le Sri Lanka s'est montré particulièrement restrictif, en excluant les personnes condamnées pour des délits liés aux stupéfiants, mais également les personnes incarcérées considérées comme « toxicomanes ». Dans 19 pays, les personnes en attentes de procès se sont vues explicitement exclues des mesures, tandis qu'en Albanie et en Turquie, seules les personnes ayant reçu un verdict définitif quand à leur condition pouvaient être considérées pour une éventuelle libération, ce choix excluant de fait toutes les personnes actuellement incarcérées et présumées innocentes.
Au moins 10 pays ont exclus du processus les personnes dans l'incapacité de fournir une adresse fixe, faisant de l'accès au logement un préalable à la libération. Non seulement cette approche a pour effet de fragiliser encore davantage les personnes les plus vulnérables actuellement incarcérées, mais elle fait également fi des problèmes chroniques liés à la réinsertion, parmi lesquels la difficulté de l'accès au logement et à l'emploi – difficultés susceptibles d'augmenter les risques de contracter le COVID-19, ou d'autres maladies.
Un manque d'accompagnement pour les personnes libérées
Pour de nombreuses personnes libérées dans l'urgence, il apparaît que peu à été mis en place pour protéger leur santé et leur bien-être. L'étendu et l'impact de cette négligence apparaît aujourd'hui clairement.
En Iran, par exemple, de nombreux individus aux profils socio-économiques précaires n'ont bénéficié d'aucun soutien financier, sanitaire ou matériel suite à leur libération. De plus, pour de nombreuses personnes sans logement stable, la fermeture des parcs suite aux mesures d'urgence a limité l'accès à l'eau et aux équipements sanitaires. En Inde, un nombre important de personnes libérées de prisons se sont vues contraintes de parcourir des centaines de kilomètres à pieds, en stop ou en deux-roues pour rejoindre un foyer, et ont affrontés la mise au ban et les discriminations dans tous les aspects de leurs existences.
Les personnes usagères des drogues nouvellement libérées font également face à un risque accru d'overdose aux opioïdes, du fait d'une tolérance réduite consécutive à l'abstinence forcée, et d'un accès limité par le confinement aux traitements et palliatifs comme la méthadone ou la buprénorphine.
Sans surprise, dans de nombreux pays, le nombre de morts liées à la consommation d’opioïdes a connu une forte hausse durant la pandémie, les États-Unis déplorant une montée de 18% en mars, de 28% en avril et de 42% en mai.
Des conditions inhumaines
Pour les millions de personnes toujours incarcérées ou rappelées en prison après une libération temporaire, les conditions de confinement ont radicalement changé, à mesure que les quelques services déjà limités auxquels ils ont accès continuent de se restreindre et de se détériorer. Les restrictions sévères imposées conduisent fréquemment à des violations des droits humains élémentaires, et ont rendu les conditions de détention encore plus inhumaines qu'elle ne l'était avant le début de la pandémie.
En ce sens, l'impact sur la santé mentale et physique des personnes emprisonnées s'est révélé dévastateur, et a conduit à des tensions croissantes et à une montée des violences. En Italie, les émeutes consécutives aux restrictions imposées par les mesures liées au COVID-19 a conduit à la mort de 13 personnes incarcérées. Comme le souligne le UK Joint Committee on Human Rights, « des interrogations légitimes existent quand aux restrictions sévères faites aux droits humains des détenus, la mesure des conséquences de ces décisions, et sur la capacité à protéger des vies humaines par d'autres méthodes moins restrictives. »
Une occasion manquée
La pandémie de COVID-19 a mis à nu les disparités sociales et médicales au sein des pays du monde entier. Elle aurait par ailleurs permis de repenser et reconstruire une approche politique des drogues fondamentalement inefficace ainsi que des systèmes pénaux structurellement racistes – notamment en réattribuant une partie des ressources allouée aux forces de l'ordre vers des mécanismes et des services dédiés aux soins des personnes dans le respect de leur intégrité.
Malheureusement, les échecs cuisant des entreprises de décongestions des prisons, couplés aux arrestations et aux restrictions toujours plus prégnantes à l'intérieur des établissement pénitentiaires, ont témoigné de la volonté des pouvoirs en place à continuer de privilégier les sanctions à la santé, à l'égalité raciale et aux droits humains.
La version originale de cette article a été publiée par Filter, un magazine en ligne consacré à l'usage des drogues, aux politiques associées ainsi qu'aux droits humains, à travers le prise de la réduction des risques. Vous pouvez les suivre sur Facebook, Twitter, ou vous abonner à leur newsletter.
* Gen Sander est une spécialiste des droits humains travaillant pour Harm Reduction International. Elle travaille au Royaume-Uni.