Il y a cinq ans, les familles blanches appelaient à une « guerre anti-drogues plus douce ».  L'a-t-on obtenu ?

Le 30 octobre 2020 a marqué les cinq ans de l'article en une du New York Times proclamant « In heroin crisis, white families seek a gentler war on drugs (Les familles blanches demandent une guerre anti-drogues plus douce, en réponse à la crise de l'héroïne. ) » Bien des choses ont changé depuis, mais la guerre anti-drogues fait toujours rage. 2019 a été une année record de morts par overdose, et les prévisions pour 2020 vont dans le sens d'une aggravation de la situation due à l'isolement des personnes, à la difficulté d'accès aux traitements et aux services de réduction des risques, ainsi qu'aux perturbations liées à la pandémie dans l'acheminement des médicaments. 

Les familles blanches mises en avant durant la dernière crise des overdoses liées aux opioïdes ont elles obtenues la guerre plus douce qu'elles demandaient il y a cinq ans ? La réponse dépend des personnes interrogées. Pour les familles noires et latinos, confrontées aux arrestations et aux violences policières, la réponse est un « non » retentissant. 

Avant-même que ne soient diffusés les biais médiatiques présentant la crise des opioïdes comme une crise blanche, les morts par overdose au sein des communautés noires et latinos étaient déjà de plus en plus nombreuses. Le taux national de morts par overdose au sein de ces communautés est monté en flèche en 2012 puis 2013, pour s'aggraver entre 2014 et 2017, le taux de décés au sein de la communauté noire augmentant de 230%, et de 170% au sein des communautés latinos. Durant la même période, les morts par overdose liées au fentanyl ont augmenté de 174% chez les personnes noires, tandis qu'en 2017, 40% de toutes les morts par overdose constatées au sein des communautés latinos impliquait la substance. Les overdoses dues à la cocaïne ou aux méthamphétamines ont également connu une forte hausse au sein de ces communautés, beaucoup d'entre elles associées à la prise d’opioïdes. La terrible hécatombe provoquée par la crise des opioïdes dans les communautés racisées n'a pourtant que rarement fait les gros titres des médias nationaux. 

Au lieu de ça, les arrestations liées à la guerre anti-drogues sont restées une priorité des forces de l'ordre, lesquelles se concentrent sans ambiguïté sur les personnes noires, latinos, les personnes issues des communautés amérindiennes et les personnes non-citoyennes des États-Unis. Les délits liés aux drogues sont le principal motif d'arrestation dans le pays, sans réelle évolution entre 2010 et 2019. Les noirs-américains – qui représentent 13% de la population totale des États-Unis – représentent  26% des personnes arrêtées pour des délits liés aux drogues, et ce en dépit du fait que des personnes aux profils ethniques divers consomment et vendent des produits stupéfiants dans des proportions semblables. 

Ces arrestations ont conduit à mettre beaucoup trop de monde en prison ou sous surveillance policière. De fait, une personne incarcérée sur cinq, soit plus de 450 000 personnes, l'est pour un délit ou un crime lié aux drogues, tandis que 750 000 autres sont en probation ou en liberté conditionnelle. 

Par beaucoup d'aspects, les conséquences de la guerre anti-drogues ont été encore plus sévères pour les personnes exclues de la citoyenneté américaine, l'ICE effectuant en 2019 une arrestation liée aux drogues toutes les huit minutes, ces délits constituant l'an dernier l'un des principaux motifs de déportation, juste derrière les « entrées illégales sur le territoire ». Le résultat tragique de cette politique s'observe dans les séparations familiales et la destruction des communautés. 

"Le système d'accueil est devenu l'épicentre de la guerre anti-drogues américaine", a démontré un nouveau rapport de Movement for Family Power, qui révèle qu'entre 2001 et 2011, un enfant noir sur neuf et un enfant issu d'une communauté amérindienne sur sept étaient enlevés à la garde de leurs parents.

Comme avec la distinction crack/cocaïne des années 1980, les responsables politiques ont trouvé un moyen d'appliquer des peines plus dures et des minimums plus stricts encore – mais cette fois autour du fentanyl, pour lequel l'immense majorité des arrestations concerne des personnes noires ou latinos. Le dernier rapport de Drug Policy Alliance sur les condamnations liées au fentanyl montre ainsi que depuis 2011, 39 états ont fait voté ou promulgué des lois instaurant des peines plus sévères concernant la substance, ces états étant pour beaucoup d'entre-eux les mêmes ayant parallèlement mis en place des réformes positives en matière de drogues. Une analyse de la Commission d'application des peines, portant sur les arrestations liées au fentanyl, a révélé que le traitement des infractions liées à la substance avait augmenté de 3 940% entre 2015 et 2019, 77% des personnes condamnées pour trafic faisant partie des communautés noires et latinos. Malgré la mise en place de ces arsenaux répressifs plus sévères, aucun de ces états n'a observé une baisse des morts liées au fentanyl. 

Bien que plusieurs états aient promulgué les « 911 Good Samaritan Laws » et amélioré l'accès à la naloxone, les condamnations particulièrement strictes pour homicides liés aux stupéfiants ont explosé à travers le pays. Ces dernières années, l'ensemble des 50 états américains a fait voter des lois facilitant l'accès à la naloxone, et 45 états ont mis en place les "911 Good Samaritan Laws", visant à encourager les témoins d'une overdose à appeler les services d'urgence sans crainte de se voir arrêtés ou poursuivis. Pourtant, dans le même temps, les homicides par voie de drogues se multiplient. Ces lois ont été promulgué ou ravivé ces dernières années dans la moitié des états américains dans le but de condamner pour meurtre les revendeurs – ou toute personne ayant fourni de la drogue à une victime d'overdose. S'en suit une augmentation des affaires dans ce sens, et par-là même, la disparité importante entre les profils raciaux, les accusés noirs écopant en moyenne de peines deux fois plus longues que leurs homologues blancs. 

Le rôle des forces de l'ordre dans les réponses de santé publique à l'augmentation des overdoses est devenu de plus en plus important dans certaines communautés, s'exprimant largement par de la répression et de la violence dans le traitement des personnes noires et latinos associés à l'usage des drogues.  Même les programmes spécifiques de réinsertion, permettant d'éviter l'arrestation au profit d'un suivi thérapeutique (Law Enforcement Assisted Diversion (LEAD), semblent avoir bénéficié de façon écrasante aux partcipants blancs.

Dans le même temps, les meurtres par la police de personnes noires et latinos continuent de se multiplier, les produits stupéfiants servant souvent d'excuses à la brutalité des policiers.

En cela, qu'a finalement été le résultat des épanchements médiatiques des familles blanches appelant à une politique des drogues plus douces ? Ces cinq dernières années, la « guerre anti-drogues plus aimable » n'a guère existé autrement que sur le plan rhétorique, témoignant de l'approche américaine dans sa lutte contre les drogues. Il est question dans les médias d'un déclin de la guerre anti-drogues, mais cette vision masque la réalité des overdoses en constante augmentation au sein des communautés racisées, dans un contexte où la guerre anti-drogues n'a rien perdu de sa violence. Certaines personnes, principalement des personnes noires et latinos, et également de plus en plus de blancs pauvres, doivent faire face aux sanctions. D'autres – des blancs plus confortables matériellement – sont beaucoup plus susceptibles d'attirer la compassion et de se voir offrir des traitements comme la buprenorphine.

La politique américaine en matière de drogues a longtemps été dirigé par le racisme et une idéologie bien définie. Malheureusement, cela demeure vrai aujourd'hui. Bien que l'on puisse constater une ouverture quand aux traitements et à la réduction des risques, notre réponse collective en termes de sanction et de répression s'intensifie, en particulier contre les noirs, les latinos et les populations amérindiennes. Ce n'est pas une guerre anti-drogues plus douce dont nous avons besoin, mais bien la fin définitive de l'échec cuisant qu'elle représente.

 

La version originale de cette article a été publié par Drug Policy Alliance, une organisation pionnière dans la promotion de politiques des drogues basées sur la science, la compassion, la santé publique et les droits humains. Vous pouvez suivre DPA sur FacebookTwitter ou Instagram.