La pandémie de COVID-19 accentue-t-elle la marginalisation des usagers des drogues par voie intraveineuse ?

Image d'un lot de seringues fournies dans le cadre d'un programme de réduction des risques à Seattle; Joe Mabel via Wikimedia Commons

Les services britanniques d'échange de seringues réduisent leurs horaires du fait de la pandémie de COVID-19, au détriment des usagers des drogues.

 

Programmes d'échange d'aiguilles et de seringues

 

Au Royaume-Uni, les programmes d'échange d'aiguilles et de seringues existent depuis plusieurs décennies, dans le cadre d'une démarche globale de réductions des risques associés à la prise de drogues. En permettant aux usagers l'accès à du matériel stérile et à du Naloxone (l'antidote en cas d'overdose), ces services se révèlent essentiels pour prévenir une partie des dommages causés par la consommation non contrôlée de produits stupéfiants. 

Une personne accédant à l'un de ces services recevra des aiguilles et des seringues propres, de l'acide citrique, des lingettes hygiéniques, des cuillères et des filtres. Ces dispositifs peuvent intervenir via des services ambulants dédiés, dans des pharmacies, ou, comme c'est souvent le cas, intégrés à d'autres services tels que ceux responsables du dépistage des virus transmis par voie sanguine. Ces dispositions permettent de réduire le taux de contamination, et l'impact sanitaire global des produits stupéfiants. La plupart des usagers de ces services pratiquent l'injection d'héroïne et du « crack », souvent combinés. Les usagers d'autres drogues consommées par voie intraveineuse, comme les stéroïdes, ont également accès à ces aides. 

 

Les restrictions liées au COVID-19

 

En mars 2020, la vie a changé pour tous les habitants du Royaume-Uni, le pays entamant son premier confinement. La confusion régnait quant à la définition d'un « service essentiel », et sur les risques précis pour la santé du nouveau virus, conduisant le gouvernement à intimer au pays de « rester à la maison ». Tout cela n'a pas empêcher les personnes consommant des drogues par voie intraveineuse de continuer à se fournir, beaucoup d'entre elles tenaillées par leur addiction.  Les restrictions de mouvements liées au COVID-19 entrainant des perturbations sur le réseau du trafic de stupéfiants, la santé des personnes dépendantes à l'héroïne s'en est trouvée fortement impactée, faisant peser une pression supplémentaire sur les services de réduction des risques. A cela s'ajoute l'impossibilité du travail à distance pour une part importante de ces services, l'accès aux usagers des drogues étant déjà suffisamment difficile « en personne ». 

Les programmes d'échange de seringues et d'aiguilles dans les services d'addictologie et dans les pharmacies ont vus leurs horaires sensiblement aménagées, et les effectifs réduits à la portion congrue. Ils sont restés accessibles durant le confinement de janvier 2021, mais toujours en capacité limitée. Les personnes les plus à risques se voyaient ainsi priver de l'accès au service habituel, bien que de nombreux organismes trouvèrent le moyen de garantir aux personnes les plus vulnérables un accès à de l'équipement stérile, à des traitements et à de une assistance médicale. L'organisation "Bristol Drugs Project" a notamment mis en place un programme de visites à domicile, prenant en charge 70 personnes en 2020.

Les programmes d'échange permettent d'établir un lien entre les usagers et le monde autour.

Comme le suggère une étude sur le sujet, les efforts pour aller à la rencontre des usagers depuis le début de la pandémie n'ont pas permis d'empêcher une baisse du recours aux services de distribution. Cela pourrait représenter un risque accru de contamination par voie sanguine, via la réutilisation et le partage du matériel. Les conséquences sanitaires et sociales d'un tel état de fait sont multiples, à commencer par la baisse des tests et des traitements pour les maladies virales transmises par voie sanguine, et la réduction de l'accès à des produits pour l'hygiène, tels que des préservatifs ou des brosses à dents. 

Les programmes d'échange permettent d'établir un lien entre les usagers et le monde autour. Leur mission sociale est essentielle, et d'autant plus dans le contexte actuel du COVID-19, où les mesures et l'information imposent une adaptation permanente, susceptible d'entraîner la confusion. Les usagers des drogues par voie intraveineuse doivent faire face à une stigmatisation au sein de la société, et ces services sont parfois leur seul lien avec les dernières informations et précautions sanitaires à prendre. 

Les usagers des drogues par voie intraveineuse sont confrontés à la stigmatisation, et sont de ce fait traités au second-plan par les pouvoirs publics.

L'accessibilité limitée par les mesures prises contre le COVID-19 réduit même les possibilités de voir un médecin autrement qu'à distance. Ainsi, en ce moment, les programmes d'échange sont parfois le seul lien des usagers avec des professionnels, dans un contexte où leur santé est particulièrement à risque. Les personnes travaillant dans le domaine de la toxicomanie et de la réduction des risques sont parfois les seules professionnelles à entretenir une relation constructive avec les usagers. Les usagers des drogues par voie intraveineuse sont confrontés à la stigmatisation, et sont de ce fait traités au second-plan par les pouvoirs publics. Les morts liées à la drogue en Angleterre et au Pays de Galles sont en hausse pour la huitième année consécutive, notamment par overdose et des suites de maladies virales transmises par voie sanguine. En dépit de cette réalité, le gouvernement continue de tailler dans les budgets attribués à ces services, et s'obstine à refuser de considérer les programmes d'échange comme des services essentiels. 

Les groupes sociaux marginalisés, auxquels appartiennent les usagers des drogues par voie intraveineuse, étaient déjà sujets aux inégalités sanitaires, et ce bien avant la crise du COVID-19. En cela, la réduction des services dédiés ne pourra qu'empirer les choses. Ces programmes d'échange d'aiguilles et de seringues représentent des services essentiels pour des personnes déjà fortement marginalisées dans notre société, et agissent comme une ouverture à l'accès aux soins personnalisés, à la réduction des risques, ainsi qu'à une aide substantielle dans le cadre imposé par le COVID-19. Le maintien d'un accès réduit à ces programmes risque de mettre en péril la santé et la vie de nombreux usagers. Sur le long-terme, cela coûtera bien davantage au pays, et garantira l'exclusion sociale des usagers des drogues par voie intraveineuse, de même que l'inaccessibilité des soins nécessaires. 

 

*Megan Coakeley vit à Bristol, et milite en faveur de la dépénalisation des drogues. Elle a travaillé dans le domaine du logement et de la toxicomanie, et vient d'obtenir un diplôme la spécialisant dans les questions de santé publique. Elle est engagée en faveur de changements sociaux quant à l'usage des drogues, à la réduction des risques et quant aux inégalités sanitaires. Lui écrire : megancoakeley@gmail.com