Le cannabis, un produit de tous les jours pour certains jeunes Nigérians

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Le cannabis est illicite au Nigeria. Sa culture et sa distribution sont des infractions pénales. Cultivée principalement au sud du pays, la plante est bon-marché et disponible à l’achat à même la rue. Les consommateurs sont généralement vus comme des marginaux, sujets aux arrestations et à l'emprisonnement.
En dépit de sa mauvaise image et de sa répression pénale, la consommation de cannabis au Nigeria est en en pleine expansion. Des études ont montré que la plante se plaçait, juste derrière l’alcool, au rang de seconde substance psychoactive la plus consommée du pays. Les consommateurs sont pour la plupart âgés de 25 à 39 ans.
Lors de mes recherches pour deux publications, je me suis penché sur l’accès des Nigérians aux drogues récréatives, et sur les raisons poussant tant de jeunes adultes d’une ville de l’est du pays à se tourner vers cette substance. Mon étude a également porté sur la normalisation du cannabis parmi les consommateurs et leurs réseaux personnels. J’ai observé la façon avec laquelle les participants mêlaient le cannabis à leurs vies universitaires et sociales, leurs activités sportives et leurs loisirs.
Il importe de comprendre pourquoi les jeunes consomment des drogues, et si le cadre juridique et politique est efficace pour réduire les risques associés aux substances. De mes recherches a émergé le constat que le cannabis est, présentement, largement et facilement disponible dans la ville où j’ai mené mon enquête.
Le cannabis a de nombreux usages
Pour mon étude, j’ai choisi 23 jeunes hommes et jeunes femmes diplômés ou en voie de le devenir, consommateurs et consommatrices de cannabis. Je les ai interrogé de façon à déterminer leurs habitudes et l'intérêt qu'ils avaient à consommer cette substance.
Si tous les participants à l’étude reconnaissaient la nature illicite de la drogue, ils confirmaient la facilité à s’en procurer. Notamment du fait de l’essor la culture en intérieur, chez des particuliers. Le réseau de consommateurs s’étend rapidement, et les dealers sauvages prolifèrent, aidés par des officiers de police corrompus.
D’après mes sujets, les jeunes Nigérians offrent du cannabis à leurs invités en signe d’hospitalité. La plante est consommée dans les fêtes et les bars, et sert à la fois à cimenter les relations entre les personnes et à faire naître de nouvelles amitiés. Dans un contexte social, fumer du cannabis permet également d’installer la confiance entre les membres d’un groupe social. Rejeter une offre est considéré négativement, en particulier chez les jeunes hommes.
Les sujets utilisaient également le cannabis comme moyen de renforcer les performances académiques. Cette motivation entre en résonance avec certaines caractéristiques propres à la société nigériane, telles que le taux important de chômage des jeunes, et la défense de l’égo masculin.
L’importance des accomplissements individuels et de la pression à satisfaire les parents et de potentiels employeurs, propres à la culture nigériane, font partie des incitations à utiliser le cannabis comme moyen de booster sa confiance en soi et ses performances aux examens. Certains participants à l’étude ont ainsi reconnu fumer de grandes quantités de cannabis dans ce but précis :
Le jour de ma soutenance, j'étais particulièrement défoncé, et mes yeux étaient rouges... Je suis arrivé dans le hall, ils m'ont posé des questions, auxquelles j'ai répondu. Quand j'ignorais une des réponses, je leur demandais de répondre eux. Quand tout le monde montrait de l'impatience vis-à-vis de mes questions, je faisais une blague. C'est la confiance en soi qui vous rend polyvalent.
Un autre usager du cannabis mettait pour sa part en avant l'influence positive de la plante sur ses examens écrits, facilités par une concentration et une mémoire accrues :
Quand j'ai fini de réviser pour un exam, et que je fume avant de rentrer dans l'amphi, j'écris comme jamais je n'ai écrit auparavant. En particulier pour les cours théoriques, pas les cours de maths. Un jour j'avais un examen pour un cours de « rapport d'écriture », où je devais détailler deux façons d'inclure des références. J'ai écrit sans m'arrêter, les idées me venant au fil de la plume. Je pense que ça fonctionne pour les exams à condition d'avoir étudier au préalable.
Les mesures à prendre
Les politiques et le cadre juridique autour du cannabis au Nigeria criminalisent la consommation du cannabis. Cette approche empêche pourtant la réduction efficace des risques, les personnes souhaitant arrêter leur consommation ou suivre un traitement craignant de se voir arrêter ou emprisonner.
Les aînés et les employeurs du Nigeria doivent reconsidérer l'importance disproportionnée qu'ils donnent aux diplômes. Les étudiants ne bénéficiant pas de l'aide de leurs parents ou de leur université se tournent vers le cannabis pour faire face à la pression induite par la culture de la réussite propre au pays.
On constate également la nécessité de donner accès aux jeunes Nigérians à des informations basées sur des études sérieuses quand à l'addiction et aux dangers causés par les produits stupéfiants. Cela dans le but de réduire les expérimentations de la jeunesse, et freiner la montée en puissance d'une culture aux effets potentiellement délétères, au profit d'une culture plus saine comme le sport.
La version originale de cet article a été publiée par The Conversation, et reproduit ici sous licence Creative Commons.
* Emeka Dumbili, Maître de conférence, Nnamdi Azikiwe University