Le PNUD brésilien approuve l’abstinence forcée et la pathologisation religieuse des usagers des drogues

Emblème des Nations Unies. Source: Wikipedia

La déclinaison brésilienne du programme des Nations Unies pour le développement s’aligne encore un peu peu plus sur l’idéologie de l’administration Bolsonaro. TalkingDrugs est récemment revenu sur le soutien du gouvernement aux centres de désintoxication aux méthodes basées sur la pratique religieuse, dans une optique privilégiant l’abstinence à la réduction des risques, et la guerre anti-drogues à la dépénalisation et à la régulation. Nous avions également mis en lumière la caution morale et institutionnelle apposée par l'ONUDC et le PNUD à la guerre anti-drogues menée par Bolsonaro, et les dangers d’une telle alliance. Le présent article évoque la publication conjointe par l’agence des Nations Unies et le Ministère de la citoyenneté d’une offre pour l’attribution d’une subvention de 570 000 réals (soit plus de 85 000 euros) à la mise en place d’une étude sur les bénéfices d’une approche religieuse et spirituelle dans le traitement des personnes usagères des drogues. 

Les termes de l’offre s’appuient sur l’idée que le Brésil fait face à une épidémie de toxicomanie, une hypothèse déjà réfutée par une étude censurée par le gouvernement. Le soutien institutionnel et financier du PNUD à cette initiative agit comme une approbation, non seulement de l’aile religieuse du gouvernement, mais également des instances évangeliques brésiliennes dans leur ensemble. Les mots choisis pour la publication de l’annonce ne font pas l’économie des termes stigmatisants. Dans un unique paragraphe de la partie « Justification », on observe trois occurrences du terme « abuse » (N.d.T : terme renvoyant ici à la toxicomanie) pour aucune mention de la réduction des risques. L’usage des drogues est désigné en tant que « dépendance chimique », et caractérisé comme maladie mentale. Les auteurs font l’apologie de ce qu’ils décrivent comme les bienfaits de la religion « quant à la prévention, au diagnostic, et au traitement de la dépendance chimique », citant une étude basée sur une méthodologie douteuse pour affirmer que « les personnes entretenant une pratique religieuse/spirituelle consomment moins de drogues ». Cet éloge de la religion et de la spiritualité a un auditoire bien identifié : les personnes possédant les centres communautaires thérapeutiques mandatées par le gouvernement pour mettre en place des traitements – lesquels s’appuient sur le travail forcé, et l’administration de sévices physiques et psychologiques envers les personnes usagères des drogues. 

 

Au nom de Dieu, faire la promotion des risques

 

Le recours ou le renvoi forcé vers la religion et la croyance en guise de traitement de l’addiction aux produits stupéfiant ont une longue histoire, concomitante de l’association entre usage des drogues et acte pêcheur. Au milieu du XIXème siècle, en pleines guerres de l’Opium, les missionnaires médicaux britanniques voyaient la « la chrétienté comme la meilleure plante médicinale pour remédier à la consommation d’opium. Les praticiens britanniques avaient conclus que la solution à l’addiction résidaient dans les comportements individuels ». Ainsi décrivaient-ils les chinois comme des  « sauvages », « manquant structurellement de moralité, et que la chretienté devait être insuffler à chaque patient jusqu’à trouver en lui la force de se remettre profondément en question. » Le travail des chercheurs et des journalistes nous a montré que de nombreuses personnes placées dans ces programmes de désintoxication basée sur la croyance s’en échappait à la première occasion, au Brésil comme au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis.

 

Clarissa Levy a dénoncé les violences physiques et psychologiques infligées à des pensionnaires encore adolescents, dans un centre communautaire thérapeutique basée sur la pratique religieuse, à Minas Gerais au Brésil. Sur cette image, prise par Vitor Shimomura, un pensionnaire montre le manche à balais utilisé pour punir les jeunes. Le témoin a notamment expliqué à Clarissa Levy que l’outil était mis en évidence dans les chambres, de façon à ce que les pensionnaires aient toujours à l’esprit le châtiment qui les attend à la première incartade. Source: Agência Publica/Auteur: Vitor Shimomura. 

 

De façon inhérente, le processus de pathologisation religieuse des usagers des drogues s’accompagne d’une violence physique et symbolique, et le passif des centres communautaires thérapeutiques brésilien en la matière devrait alerter les agences de l’ONU qui scellent des partenariats avec le gouvernement, en particulier depuis 2019, année où Bolsonaro a rétablis la légalité des traitements forcés. En juillet 2020, le gouvernement a permis la légalité des traitements imposées pour désintoxication administrés aux jeunes dès l'âge de douze ans

De fait, le rapport 2020 de l'Organe international de contrôle des stupéfiants désapprouve la politique de Bolsonaro, et le fait de contraindre les usagers des drogues à une cure de désintoxication « sans leur consentement, le recours d’un membre de la famille ou d’un tuteur légal, ou en l’absence totale d’un référent, l’avis d’un spécialiste exercant dans le domaine de la santé et pouvant justifier ce type de prise en charge ». Mais bien que l’organisme « déconseille le recours à des traitements forcés pour la prise en charge des personnes souffrant de troubles associés à l’usage des drogues », le vocabulaire choisi dans la rédaction du rapport renvoie lui aussi à l’idée d’une consommation de drogues pensée comme une pathologie. De façon surprenante, l’organisme ne semble pas alarmée du fait que les centres de « désintoxication » brésilien ne soient soumis à aucun contrôle, ou à la surveillance d’une agence ou d’un quelconque organisme spécialisé. 

En s’associant ainsi au Ministère de la citoyenneté, pivot du «  bolsonarisme », le PNUD fait office de biais de confirmation et participe indirectement à la guerre anti-drogues et à la persécution des personnes les plus vulnérables au Brésil, à l’encontre des missions et des valeurs affichées par l’ONU quant à la défense des droits humains dans le monde. 

 

*Felipe Neis Araujo est un anthropologue brésilien, impliqué dans les questions relatives aux politiques des drogues, à la violence d’État, au racisme structurel et aux réparations quant aux inégalités historiques. Il écrit chaque mois pour TalkingDrugs. Pour le contacter :  neis.araujo@gmail.com