Les hommes associent les drogues au sexe depuis des millénaires – pour des raisons plus complexes qu'on ne l'imagine

Malgré une histoire millénaire, notre compréhension du rapport entre sexe et produits stupéfiants demeure lacunaire. Shutterstock/Panu Kosonen
Pris séparément, le sexe et les drogues sont des tabous de nos sociétés. Leur association ne fait qu'ajouter à notre inconfort lorsqu'il s'agit de les aborder de front. La compréhension de l'interconnexion existante entre sexualité et produits stupéfiants est pourtant un domaine à ne pas négliger, qu'il importe de ne pas rabaisser à une déviance.
Les êtres humains utilisent les drogues pour faciliter et sublimer leurs expériences sexuelles depuis des millénaires. Durant l'antiquité, les égyptiens consommaient de l'extrait de fleur du lotus bleu pour accroître le désir sexuel. Plus récemment, dans les années 1960, le partisan des substances hallucinogènes Timothy Leary déclarait : « le LSD est le plus puissant aphrodisiaque jamais découvert par l'homme. »
En dépit de cette longue histoire, notre compréhension de la relation entre sexe et produits stupéfiants demeure lacunaire. Les chercheurs se concentrent souvent sur l'association faite entre consommation de drogues et comportements sexuels « à risques », comme la non-utilisation de préservatifs ou la multiplication des partenaires.
Des études ont également mis en lumière les liens existant entre consommation de drogues et activité sexuelle « déficiente », caractérisée notamment par la difficulté à maintenir une érection, ou à atteindre l'orgasme. Ainsi, la plupart des études renvoient essentiellement à la face négative de l'association entre drogues et sexualité.
Par-delà le chemsex
Des recherches récentes sur la question ont fait du « chemsex » leur point d'ancrage principal. La notion renvoit généralement à l'activité sexuelle d'hommes consommant des substances telles que les méthamphétamines ou la méphédrone pour sublimer ou prolonger leurs expériences.
Si cette dimension a toute son importance, elle néglige de fait l'ensemble des expériences vécues par des personnes revendiquant des genres et des identités sexuelles différentes. Les campagnes de prévention et de réduction des risques se concentrent essentiellement sur les hommes homosexuels et bisexuels, laissant potentiellement de côté les autres groupes impliqués, susceptibles de ne pas se sentir concernés.
L'emphase importante portée au chemsex occulte en grande partie les expériences des femmes associant les drogues au sexe, et le type de sublimation qu'elles peuvent y trouver. Depuis l'autorisation du viagra pour les troubles érectiles par la Food and drug administration (FDA) dans les années 1990, des demandes se font entendre en faveur du développement d'un équivalent féminin. Toutefois, la condition médicale qu'un tel produit pourrait « traiter » chez des personnes avec un vagin demeure obscure.
Le sexe et la sexualité
Notre vision parcellaire des liens entre sexualité et produits stupéfiants commence à s'étoffer à mesure que de nouvelles recherches s'intéressent aux notions de plaisir et d'intention.
Une étude récente a notamment révélé qu'un groupe de personnes répondant de sexualités et d'identités de genre très diverses affichait des motivations tout aussi diverses en matières de drogues associées à leur activité sexuelle. Pour certains, il s'agissait de renforcer la connexion émotionnelle avec l'autre, pour d'autres l'augmentation du désir ou l'intensification des sensations physiques prédominaient. Certains mettaient en avant le fait que le sexe sublimait l'expérience provoquée par la drogue, au même titre que l'inverse. L'étude revient ainsi sur la limite posée par une approche uniquement physique et mécanique de l'association entre produits stupéfiants et sexualité, laquelle peut également mettre au centre la composante émotionnelle de la rencontre sexuelle.
Une autre étude s'intéresse à la consommation de drogues par des personnes LGBTQ cherchant à transformer et sublimer leur expérience des genres, souvent dans le cadre de la sexualité. Les substances leur permettent d'exprimer leur genre et leur identité sexuelle de façon différente, en défiant les dogmes binaires traditionnels. Pour beaucoup des participants à l'étude, les drogues étaient un moyen de jouer et d'expérimenter avec leur propre rapport aux genres, certains hommes homosexuels décrivant une véritable libération personnelle et sociale dans le fait de se travestir en ayant consommé des drogues.
Ces drogues que nous associons au sexe
Les drogues les plus fréquemment combinées avec l'activité sexuelle semblent refléter les habitudes de consommation générales des usagers. Les données récoltées par le grand sondage Global Drug Survey ont permis de révéler dans une étude de 2019 que les trois substances les plus associées à l'activité sexuelle étaient dans l'ordre l'alcool, le cannabis et la MDMA. Ce classement est identique selon le genre et l'identité sexuelle des consommateurs. L'étude a également montré que les « drogues du chemsex » (la méthamphétamine, la méphédrone et le GHB/GBL) étaient principalement consommées par les hommes gays et bisexuels, bien que les autres groupes témoignaient également y avoir recours.
L'alcool est la substance avec laquelle la majorité des personnes est la plus familière, et certaines ont pu l'utiliser intentionnellement pour se détendre avant un rapport. De façon générale, l'alcool est utilisé pour faciliter le sexe, là où les autres substances le sont principalement pour améliorer le rapport. Certaines personnes choisissent également de ne pas se cantonner à une seule substance.
L'alcool et la cocaïne sont utilisés en combinaison – en tant que stimulant, la cocaïne atténue les effets dépressifs de l'alcool. La cocaïne, comme les autres stimulants (comme la méthamphétamine) est utilisé pour prolonger l'expérience sexuelle.
Lire le "Guide pour un chemsex plus sûr" (en anglais), conçu par nos amis de menrus.co.uk
Les drogues illicites ou récréatives ne sont pas les seules consommées dans le cadre de la sexualité ; c'est également le cas de certains médicaments. L'antalgique Tramadol est connu pour être efficace pour retarder l'éjaculation précoce, à tel point que certains hommes l'utilisent sans prescription ou avis médical.
Comprendre les avantages recherchés dans la consommation de drogue dans le cadre de l'activité sexuelle est un domaine de recherche important en tant que tel, bien qu'il ait été délaissé jusqu'à aujourd'hui.
Comprendre davantage la notion de plaisir et son fonctionnement permettrait également de mieux comprendre et traiter les problèmes sexuels rencontrés par les gens. Ainsi serait-il malheureux que notre embarras culturel quand à la question du sexe et des drogues nous empêche d’œuvrer à l'amélioration d'un aspect de l'existence auquel nous avons tous droit.
La version originale de cet article a été publiée par The Conversation, et republiée sous licence Creative Commons.
* Ian Hamilton, Professeur agrégé dans le domaine de l'addiction., Université de York, et Alex Aldridge, Doctorante, Royal Holloway