On poursuit tout simplement les Interpellations et les Fouilles ?

Police Métropolitaine de Londres. Source : Wikimedia
Les chiffres publiés la semaine dernière par le Ministère de l’Intérieur britannique (Homme Office) fournissent une sombre image de l’augmentation des interpellations et des fouilles en Angleterre et au pays de Galles, après une décennie de recul. Les disparités ethno-raciales persistent car une personne noire est 9 fois plus susceptible d’être interpellée qu’une personne blanche. Augmente également le lien prédominant avec les drogues comme justification des interventions policières, tandis que les réformes destinées à limiter l’utilisation de l’un des plus intrusifs des pouvoirs de la police – notamment par une poignée de forces de l’ordre telles que la Metropolitan Police Service – sont vouées à l’échec.
Le pouvoir d’interpellation et de fouille est l’un des pouvoirs les plus intrusifs conférés à la police. Son usage disproportionné avec les communautés noires, asiatiques et d’autres minorités ethniques est un « secret de polichinelle » qui érode la légitimité de la police.
Une longue histoire de détentions arbitraires et, en particulier, de persécution de jeunes noirs, ont motivé l’introduction d’une série de réformes destinées à réduire les inégalités dans l’usage de telles tactiques. En 2014, les 43 forces de l’ordre de l’Angleterre et le pays de Galles ont décidé d’améliorer la transparence et la prise de responsabilité institutionnelle en adoptant le plan pour un Meilleur Usage de l’Interpellation et de la Fouille (Better Use of Stop and Search - BUSS).
Au cours de la dernière décennie, nous avons été témoins de la diminution du nombre d’interpellations et de fouilles, bien qu’elle n’ait eu que très peu d’impact sur les flagrantes disparités ethno-raciales observées dans l’exercice de ce pouvoir. Par ailleurs, les chiffres du Home Office pour la période 2018/19 montrent une première augmentation des interpellations et des fouilles, ce qui remet en question la tendance à la baisse.
Les chiffres du Home Office pour la période 2019/20 publiés la semaine dernière (comprenant des données entre le 1er avril 2019 et le 31 mars 2020) révèlent que l’usage de l’interpellation et de la fouille a augmenté pour deuxième année consécutive, avec un rebond de 51% par rapport à l’année dernière. Ceci signifie que la police a procédé à 577 054 interpellations et fouilles pendant la période 2019/20, hormis le Grand Manchester dont les forces de l’ordre n’ont pas été en mesure de fournir des données précises.
Les derniers chiffres montrent que, une fois de plus, les minorités noires sont systématiquement plus susceptibles d’être arrêtées et fouillées que les personnes blanches, et qu’elles continuent de supporter le « poids d’un maintien de l’ordre brutal ». Sur l’ensemble des opérations de ce type enregistrées en 2019/20, ceux qui se auto-définissent comme « Noires, Asiatiques et Minorités Ethniques » sont 4.3 fois plus susceptibles d’être interpellés que les personnes blanches. Les disparités sont d’autant plus marquées lorsqu’il s’agit de personnes noires, lesquelles sont 8.9 fois plus susceptibles d’être interpellées et fouillées que les personnes blanches.
Les chiffres du Home Office montrent également que – à l’instar des années précédentes – la recherche de stupéfiants est la principale cause du recours à cette pratique. Pendant la période 2019/20, 63% des opérations relevant des principaux pouvoirs de la police tels que définis par la Section 1 de la Loi sur la Police et l’Évidence Criminelle (PACE, 1984) et sa législation associée, concernaient des affaires de drogues, ce qui va au détriment de la recherche d’armes lourdes et d’objets volés (16 et 10% des procédures policières respectivement). Ceci explique en partie les disparités ethno-raciales observées dans les données sur les interpellations et les fouilles, car il est largement connu que les lois sur les drogues sont souvent « imposées avec plus de rigueur aux minorités ethniques, bien que le taux de prévalence de l’usage de drogues ne soit pas plus élevé au sein de ces groupes, comparé à celui de la population blanche ».
Dans la ville de Londres, le Service Métropolitain de Police (Metropolitan Police Service - MPS) continue d’enregistrer la plus grande proportion d’interpellations : le MPS a conduit 48% des interpellations et des fouilles effectuées durant la période 2019/20. Même si l’on contrôle par la taille de la population, le MPS avait le taux d'interpellation et de fouille le plus élevé (31 interpellations pour 1 000 habitants), ainsi que le taux d'arrestation le plus élevé de toutes les forces de l’ordre.
D’après les chiffres du Home Office, sur les 577 054 interpellations et fouilles enregistrées en 2019/20, une large majorité (76%) ne fait pas l’objet de poursuites judiciaires (3% de plus que sur la période 2018/19). En effet, dans la plupart des cas les officiers de police ne trouvent rien. En 2019/20, seuls 20% des interpellations et des fouilles relevant de la Section 1 de la PACE (et sa législation associée) ont effectivement eu un résultat en lien avec le motif de l’interpellation (en l’occurrence, trouver de la MDMA lorsque la suspicion de possession de drogues fut la raison de l’interpellation). De plus, ce lien a été observé seulement dans 4% des interpellations relevant de la Section 60 de la Loi sur la Justice Criminelle et l’Ordre Public de 1994. Cette loi, qui étend le pouvoir d’interpellation et de fouille en l’absence de tout motif raisonnable de soupçonner une infraction, a suscité de la controverse.
Parmi d’autres, le Docteur Adam Elliott-Cooper a mis en question la continuité d’un « usage intensif de la force policière que n’améliore pas la sécurité publique, mais qui nécessite d’un grand nombre d’effectifs ». D’après des estimations, les dépenses annuelles du gouvernement central en matière de lutte contre les drogues sont à hauteur de 1.6 billions de livres. Dans le même temps, les dépenses estimées du gouvernement central en matière d’intervention précoce pour usage de drogues représentent seulement £215 millions par an. Cet écart, ainsi que les coupes budgétaires subies par ces services, ont motivé des appels à la réallocation du budget vers des interventions visant la réduction de risques.
En plus de l’inefficacité des opérations d’interpellation et de fouille, les disparités ethno-raciales observées dans les taux d’interpellation sont bien documentées. La Chambre des Communes a réitéré l’effet délétère de ces disparités sur le rapport entre la police et la communauté. Le rapport Lammy met en lien direct les interpellations et la méfiance à l’égard de la police et, en conséquence, la moindre probabilité de dénoncer des délits, tout ce qui va à l’encontre de l’objectif de protection de la communauté qui doit guider l’action de la police.
Tandis que la nation se trouve en pleine crise sanitaire, il y a des indices – pas encore validés par des statistiques officielles du Home Office – d’une augmentation significative des interpellations et des fouilles pendant la pandémie de COVID-19. Rien qu’en mai 2020, la MPS a procédé à 43 913 interpellations dans la ville de Londres, 68,1% desquelles en lien avec des affaires de drogues. Non seulement il s’agit du taux le plus élevé d’utilisation de ce pouvoir enregistré au cours des deux dernières années, mais ces pouvoirs sont également utilisés davantage dans les quartiers londoniens qui connaissent aussi les taux les plus élevés de décès par COVID-19. Les médias ont focalisé leur attention sur les signalements indiquant une augmentation des « infractions liées aux drogues » pendant de la pandémie, tout en négligeant l’inextricable rôle joué par l’augmentation des interpellations dans cette tendance à la hausse. Au lieu de saisir les véritables changements dans l’incidence de la criminalité, les registres criminels sont souvent le reflet des priorités et des activités de la police. De plus, les agents de police ont eux-mêmes déjà dénoncé de fortes pressions de la direction pour effectuer un volume élevé d’interpellations.
Les réformes contenues dans le plan pour un Meilleur Usage de l’Interpellation et de la Fouille (BUSS) visaient à mieux définir les contours du « soupçon raisonnable ». Or, une récente investigation menée par l’inspection générale de la police (Independent Office for Police Conduct/IOPC) – motivée par l’utilisation disproportionnée du pouvoir d’interpellation et de fouille de la part de la Police Métropolitaine – a révélé des situations dans lesquelles des hommes noirs ont reçu des coups de poing sous prétexte qu’ils étaient impliqués dans des affaires de drogues. Le Directeur Régional londonien de l’IOPC, Sal Naseem, a reporté « l’utilisation de menottes dans presque tous les cas où l’utilisation d’autres tactiques auraient pu désamorcer la situation ». L’IOPC a proposé à la MPS une série de 11 réformes conçues pour améliorer l’utilisation du pouvoir d’interpellation et de fouille. Néanmoins, compte tenu du persistent échec de plusieurs forces de l’ordre dans la mise en application des réformes contenues dans le plan BUSS, ne serait-il temps de reconnaître que le problème lié aux interpellations ne sera pas résolu par des réformes ?
*La Docteure Laura Garius a rejoint Release en tant que responsable de politiques à l’automne 2020. Elle est criminologue et a obtenu son doctorat à l’Université de Loughborough. Laura assure le module Drogues et Société pour les étudiants de l’Université Nottingham Trent, et a mené des recherches sur les dommages provoqués par la consommation d’alcool et de drogues. Elle a également conduit des études auprès des usagers des services de drogues, ainsi que des enquêtes de grande échelle ; elle fait du plaidoyer en faveur de la réduction de risques, la politique des drogues basée sur l’évidence scientifique et la justice sociale.