La politique européenne en matière de drogue va-t-elle devenir réactionnaire ?
(Ceci est la deuxième partie d'une série de deux articles sur l'avenir de la politique européenne en matière de drogue. Vous pouvez lire la première partie ici. )
Cet été, l'Union européenne a officiellement créée l’Agence européenne des médicaments. Ce nouvel organisme disposera d'un budget plus important, de plus de personnel et d'un mandat plus ambitieux que son prédécesseur, l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (EMCDDA).
Bien que cela semble être une évolution positive sur le papier, un examen plus attentif révèle une évolution inquiétante vers une approche plus répressive et sécuritaire de la politique en matière de drogue, similaire à celle qui se produit dans toute l’Europe. Comme l'extrême droite étend son influence Dans toute l’Europe, quel genre d’avenir l’UE va-t-elle créer pour la politique antidrogue dans le cadre de ce changement ?
L’élaboration d’une nouvelle politique européenne en matière de drogue
Actuellement, la politique européenne en matière de drogue est fragmentée. Le Stratégie antidrogue de l'UE 2021-25 – la stratégie globale des institutions de l’UE et de ses 27 États membres – est l’une des stratégies antidrogue les plus progressistes au monde. Il reconnaît la réduction des risques comme un pilier de la politique européenne en matière de drogues, au même titre que la réduction de l’offre et la réduction de la demande. Il contient également des engagements explicites en faveur des droits de l’homme, de l’équité en matière de santé, de la sensibilité au genre et de réponses non stigmatisantes aux drogues. Dans les débats internationaux, l’UE continue de plaider en faveur d’un régime mondial de contrôle des drogues centré sur la santé et les droits de l’homme.
Toutefois, les politiques européennes en matière de drogue ne sont pas contraignantes. Les États membres ne sont pas obligés de les mettre en œuvre, et souvent pas. Cela signifie que la réduction des risques, bien que reconnue sur tout le continent, est souvent sous-financée. Les services sont à la merci de l’évolution des priorités politiques et du risque de fermeture, comme cela s’est produit dans Grèce et Bulgarie. Dans toute l’UE, on a le sentiment que le centre de gravité politique se déplace vers la droite.
La Commission européenne est déterminée à pousser l’UE vers un paradigme sécurisé. En 2016, le portefeuille de médicaments a été réduit et transféré du ministère de la Justice de la Commission à celui de la Migration et des Affaires intérieures (également connu sous le nom de DG Intérieur). Il s’agissait d’une décision conséquente. La DG Intérieur est peut-être mieux connue pour être le département responsable de Frontex, l'agence de contrôle des frontières de l'UE, qui intervient régulièrement accusé de sérieux violations des droits humains, dont des couvrir la mort de migrants traversant la Méditerranée.
Il est devenu clair que la DG Intérieur souhaite adopter une approche tout aussi dure en matière de politique en matière de drogues. En 2019, alors que les discussions sur la stratégie antidrogue de l'UE 2021-25 n'avaient pas encore commencé, la DG Intérieur a étonnamment produit son propre document stratégique – le Agenda et plan d’action antidrogue de l’UE 2021-25. Élaboré au cours d’un processus précipité et opaque, cet Agenda proposait un « changement de paradigme » vers un « programme politique audacieux en matière de drogues ». Ce « changement » impliquait de donner la priorité aux réponses sanitaires pour se concentrer plutôt sur l’application de la loi, la sécurité et l’interdiction. L'ordre du jour a été publié dans un déclaration qui place la menace de la drogue sur un pied d'égalité avec la maltraitance des enfants et le trafic d'armes.
Cette tentative de réinventer la politique européenne en matière de drogue a finalement échoué, en partie grâce à un réponse énergique par la société civile européenne, et les réticences ultérieures de divers États membres, en particulier de l'Allemagne, qui assurait alors la présidence de l'UE.
Néanmoins, la Commission européenne a clairement indiqué que, si elle obtenait ce qu’elle voulait, la lutte contre la drogue serait traitée sous l’angle de la sécurité et de l’application de la loi. La création de la nouvelle Agence européenne des médicaments semble être une nouvelle tentative dans ce sens.
L’UE remplace de plus en plus la santé par le maintien de l’ordre
En tant qu’observatoire des drogues, l’OEDT est mondialement salué. Cependant, la Commission européenne s’est déclarée de plus en plus déconnectée de «le phénomène de la drogue d'aujourd'hui». La première proposition était de déplacer l'attention historique de l'OEDT sur la santé vers la réduction et l'interdiction de l'offre. En ce qui concerne les réponses sanitaires, la Commission a été claire : la prévention devait prévaloir sur la réduction des risques. Le déclaration qui accompagnait la proposition était un exemple classique de rhétorique de guerre contre la drogue : il y avait de nombreuses mentions de gangs, de crime organisé et de diverses autres menaces existentielles pour l'Europe.
Grâce aux interventions du Parlement européen et de divers États membres, l'Agence européenne des médicaments texte définitif est plus mesurée, en continuant à donner la priorité aux aspects de santé publique des politiques en matière de drogues. La négociatrice principale au nom du Parlement européen, l'eurodéputée Isabel Santos, a assuré que la nouvelle agence rendrait compte des droits de l'homme et des aspects sociaux du phénomène de la drogue – pour la première fois. Il existe également un engagement à créer un nouveau mécanisme pour faciliter la coopération avec la société civile. Mais le diable se cache dans les détails. Bien que l'Agence des médicaments ait connu une augmentation considérable de son budget, on ne sait pas exactement quelle part sera consacrée aux activités d'application de la loi et dans quelle mesure elle renforcera l'accent actuel de l'OEDT sur la santé.
Pendant ce temps, Bruxelles continue de promouvoir un discours sécurisé sur la drogue. En 2021, la Commission a mis fin au financement de projets en faveur du Forum de la société civile de l'UE sur les drogues (CSFD), un groupe d'experts composé principalement d'ONG spécialisées dans la santé. Le Fonds pour la sécurité intérieure de la Commission européenne, qui contient une ligne budgétaire destinée aux subventions en matière de politique antidrogue, uniquement des fonds interventions de réduction de l’offre et de prévention. En février 2023, le directeur général de la DG Intérieur blâmé des personnes qui consomment de la drogue pour la mort d'une jeune fille assassinée par un groupe criminel organisé.
La Commission européenne souligne à juste titre que les politiques de contrôle de l’offre ont échoué depuis des décennies. Grâce à la prohibition mondiale, la consommation de drogues est restée stable et les marchés de la drogue n’ont pas diminué. Ce que la Commission n'a jamais expliqué, c'est pourquoi elle estime qu'il est préférable de réduire la priorité aux interventions en matière de santé – en particulier lorsqu'il existe de sérieuses inquiétudes concernant un problème approvisionnement en drogues empoisonnées et les surdoses – est un choix judicieux. Peut-il prétendre adopter un nouveau « programme audacieux en matière de politique en matière de drogues », alors qu’il se contente de proposer la même chose ?
La menace croissante de l’extrême droite
Ces dernières années, nous avons assisté à travers l’Europe à la montée d’une politique basée sur la peur des autres, l’anxiété sociétale et une quête sans fin de sécurité. Les partis à la rhétorique d’extrême droite – du moins xénophobe, voire raciste – gouvernent désormais l’Italie, la Finlande, la Hongrie, la Pologne et la Suède, et peut-être bientôt l’Espagne. Des tendances similaires sont observées en Allemagne et en France, les deux plus grandes puissances de l’UE. Il est difficile d’imaginer une future UE dans laquelle les décideurs politiques ne seraient pas issus de ces partis, ni sérieusement influencés par eux et leurs positions idéologiques.
À première vue, la politique en matière de drogue n’est pas au cœur de la montée de l’extrême droite, mais il est clair qu’une nouvelle statu quo Des positions encore plus conservatrices et autoritaires favoriseront une approche sécuritaire de la drogue, aplatissant les facteurs sociaux, culturels et sanitaires complexes qui sous-tendent et entourent la consommation de drogue. Nous pouvons déjà constater une intensification des discours qui diabolisent et criminalisent des communautés spécifiques jugées « indésirables », ainsi qu'une dépriorisation de la réduction des risques, du traitement et d'autres services de santé et de soutien social.
Si cette tendance se développe davantage, l'attention portée par l'UE aux droits de l'homme pourrait diminuer, y compris dans les débats internationaux sur la politique en matière de drogue. Les défenseurs de la réduction des risques et de la réforme des politiques en matière de drogues continueront à être privés de financement ou à voir leur accès limité à une participation symbolique. La législation de l’UE continuera d’être un obstacle à l’émergence de marchés du cannabis légalement réglementés, avec peu de perspectives de changement.
Pour faire face à cette tendance à droite, le mouvement de réforme de la politique en matière de drogue et ses alliés doivent renforcer leur coalition, en particulier à Bruxelles. Je proposerai quelques réflexions sur la manière d’articuler cette coalition dans la deuxième partie de cette série.


